A quoi ça sert un disque ? A remettre en selle le sentiment. A se souvenir de l’odeur du concert. A convaincre l’autre d’y aller avec nous. A aider les musiciens à se ruiner la santé pour refaire la nôtre. Mais surtout, quand ce disque complète un concert : à pouvoir extrapoler. Avec la mémoire du contre-champ de chaque plan. Un disque contient tout cela, il faut juste déplier.”Dromonia“, deuxième album après “Grave“, est un de ces petits papiers pliés avec insistance jusqu’à devenir durs comme du bois, ceux sur lesquels on a écrit les choses importantes. Les grands décès, les petites confessions, les grosses erreurs.Bracco, sur scène, c’est Loren, qui se tient bien occupé, baguettes en main, devant un assortiment de machines et de synthés. Et c’est Baptiste, guitare au cou, qui chante avec la conviction rare de ceux qui se rentrent le micro dans la bouche pour que les mots sortent mieux. S’être pété la rétine sur les VHS des Cramps doit aider. Son bagage garage (Los VV’s) informe le jeu de gratte âpre et précis. Baptiste gère la verticalité, Loren l’espace et les horizontales : ça érige solide même si c’est technique schlag, visseuses et bois de palette, on sent qu’ils visent haut.Bracco a la peau lisse et humide, les étiquettes ne collent pas trop dessus, quoi qu’on tente. Ca ne les empêche pas de laisser leur musique être visitée par des fantômes discrets de la famille recomposée dark wave. Ils aiment Psychic TV, DAF, Suicide et Throbbing Gristle et ça s’entend. Les anciens combattants de la musique noteront que Bracco, bon enfant de son époque terrible, a ce son de synthèse chaud-froid des périodes charnières où tout est casse-gueule (le jour où on a entendu une guitare s’incruster dans de la techno, le moment où les punks ont appris un quatrième accord, la nuit où les Happy Mondays ont décidé de confier des maracas à Bez : ce chemin-là est pavé de disques courageux). Sunshine et Secretly dancing sont de bons exemples de ce crossover apatride où le traitement du couple guitare / batterie est particulièrement réussi.Le mix clinique et efficace du producteur, Marc Portheau, incite à jouer le disque plus fort que l’ambiance de merde actuelle. Ensemble, ils ont passé au désinfectant industriel les compos, conçues en résidence à la Station – Gare des Mines, et enregistrées au studio La Seine. Lauriane, transfuge des shoegazers de Bryan’s Magic Tears, les a rejoints pour un featuring vocal. Cobra Music, premier single, qu’on avait déjà pu entendre en live, est le prototype de ces morceaux-marathons construits pour être joués en les tirant jusqu’à l’épuisement, on espère que vous serez là au finish.Halory Goerger